Le poète
a volé
le poème à la lune.
Il s'est caché une nuit
parmi les ombres.
Trop occupée à éclairer les hommes,
la lune ne l'a point vu.
Le poète a volé
le poème aux fleurs des champs.
Elles sont libres, personne ne leur a demandé de pousser
Elles chantent, elles dansent;
Elles explosent de couleurs.
Vis ta vie comme une fleur des champs
Le poète a volé
le poème à la pluie qui crépite.
Clapoti-clapota
Elle est bavarde la pluie,
toutes les gouttes se parlent;
se racontent les nuages
et les vents, et, surtout,
le soleil.
Les gouttes sont amoureuses du soleil.
Le poète a volé le poème
à la souris verte
- celle qui courrait dans l'herbe -
Le poète le sait bien, qu'il n'existe plus
de souris verte.
Alors, il a voulu le cacher,
le cacher à jamais,
Que cette histoire demeure secrète
et fasse rêver les enfants du monde.
Le poète a volé le poème
aux vagues de la mer.
Elles sont infatigables,
et, toujours sur la plage,
elles remettent leur ouvrage.
Elles vous hissent et vous descendent;
elles nous dorlotent.
Elles sont fortes aussi,
- inexpugnables -
du galet elles font du sable,
des falaises, elles engendrent les galets.
Le poète a volé le poème
au sourire
Je t'aime,
tu m'aimes
on se reconnaît
on s'approche
on se désire
on se comprend
on est deux êtres humains
le sourire accroche le soleil
Le poète a volé le poème
à l'amour
- soir d'été -
qui attire les baisers,
les caresses, les affleurements
une flamme qui vous attache à l'autre
faisant oublier les jours, les larmes et,
surtout, le temps gris
et la pluie.
Il fait toujours beau lorsqu'on est amoureux.
Le poète a volé le poème au nuage silencieux
Il passe
-si haut-
et s'excuse de voiler quelque instant
le soleil.
Le poète a volé le poème
à l'hiver.
une fois les feuilles tombées,
l'hiver dévoile tout
champs immenses, labours sombres
forêts en lumière, maisons isolées.
L'horizon s'évase.
Le poète a volé le poème
aux rires des enfants.
Leurs éclats font exploser le silence
comme l'éclair la joie
et se taisent brusquement
Nous laissant sans voix
Le poète n'a pas volé le poème
aux gens qui s'empressent,
qui dévorent le temps,
et ne savent pas attendre.
Le poète s'assoit près du pêcheur
Il écoute couler l'eau
Il s'abreuve de ses reflets.
Le poète aime le temps qui passe.
Le poète a volé le poème
à l'écume de la mer.
Elle est si légère
-presque évanescente -
Sans elle les vagues n'existeraient pas.
Elles ne seraient pas regardées,
Nul ne les aurait dessinées.
L'enfant ne les verrait pas.
Le poète a volé le poème
au printemps.
Que dire
sinon la chaleur,
ces fleurs qui affleurent
et l'humeur comme un souvenir ?
Toujours le printemps nous ramène
à cette atmosphère, acidulée,
du bonheur.
Le poète a volé le poème aux falaises dieppoises.
Elle se promenait là-haut.
Le poète l'aimait.
Mais les poètes sont bêtes.
Ils sont taciturnes.
Il aurait du lui dire,
l'embrasser.
Et le poète l'a laissée s'échapper.
La poésie naît de l'absence
et du regret.
Le poète a volé le poème
à la tempête, au vent impérieux.
Il l'a volé aux gris, aux bleus,
à la lumière, au vent qui court le long des champs,
aux labours,
aux frênes qui s'inclinent.
Dans ce pays de Caux que le poète aime,
le poète a volé le poème à l'ardeur du vent.
Le poète a volé le poème aux vieilles maisons de famille,
aux blés en plein champ, dorés,
qui frissonnent.
Il l'a dédié aux nouveaux nés,
à tous ceux qu'il ne connaîtra pas
Le poète à volé la poème à l'avenir, ensoleillé,
chaud, aux berceaux précieux,
à la tendresse des femmes qui vous aiment
aux mères, aux pères,
à ceux qui vous veillent.
Le poète a volé le poème aux photos jaunies,
au verbe discret, à la campagne.
Puis il s'est éclipsé.
Le poète a volé le poème
aux rêves des petites filles.
Cendrillon,
Blanche neige.
Je suis une princesse.
On m'aime.
On me reconnaît.
On me respecte.
Je n'attends rien d'autre que le prince charmant.